Monsieur
le président, mesdames et messieurs les ministres, député•e•s,
sénatrices et sénateurs, président•e de syndicat agricole, etc.
Je
viens par la présente lettre vous prier de tout mettre en œuvre
pour mettre un terme à l'écocide massif dont nous sommes les
témoins actuellement.
En
effet, vous savez certainement qu'il se produit en ce moment, à
l'échelle planétaire, une chute vertigineuse de la biodiversité,
une destruction massive des écosystèmes ainsi qu'une pollution
systématique des sols, de l'eau, de l'air et des organismes vivants.
Nous
savons notamment qu'une proportion très considérable d'insectes
volants a disparu d'Europe (on parle de 80 %). De même, la
biomasse des oiseaux aurait baissé de 30 % sur notre continent.
Ces chiffres ne sont pas des élucubrations d'écologistes illuminés,
mais émanent d'organismes de recherche de notre pays, le CNRS et le
MNHN en particulier. Ces disparitions ne sont plus inquiétantes ni
alarmantes, elles sont tragiques. En matière d'écologie, l'effet
d'emballement menace toujours en raison de la fragilité des
écosystèmes et des interactions qui y existent. Il y a
conséquemment urgence à agir.
Le
cas des abeilles mellifères est emblématique, du fait des relations
particulières qui existent entre les humains et elles, mais il ne
s'agit que de la partie visible de l'iceberg écocidogène. Toutes
les espèces animales et végétales sont concernées, l'humain y
compris. Il est possible d'ignorer le problème quand on est citadin,
loin de toute culture traitée aux pesticides, mais vivre en tant que
riverain d'une exploitation agricole peut être une source de colère,
de détresse voire de désespoir. Bien qu'un cas particulier ne
puisse servir de loi générale, je ne peux m'empêcher de vous
décrire notre vie en une phrase un jour de pulvérisation de
produits phytosanitaires dans le champ voisin (pas assez éloigné en
tout cas) : « Les insectes volants agonisent sous nos
yeux rougis et irrités. » L'observation d'un tel phénomène
ne peut pas laisser indifférent, surtout quand il se répète chaque
année, et que chaque année il y a moins d'insectes candidats à la
mort immédiate.
Les
causes principales de cet écocide sont assez bien connues, elles
sont notamment décrites par certains organismes de recherche
publique dont il est à noter le travail remarquable, effectué le
plus souvent dans la plus grande indépendance :
- Usage
massif de pesticides.
- Arrachage
des haies.
- Monoculture
et augmentation de la taille des parcelles.
- Labour
profond (qui détruit durablement la vie des sols, même si la
pratique est en baisse).
- Rupture
des chaînes alimentaires.
- Destruction
des écosystèmes tels que forêts, zones humides...
Etc.
L'interdiction
récente par l'Union Européenne de trois types d'insecticides
réputés « tueurs d'abeilles » est un premier pas
important, mais il est loin d'être suffisant. J'ai encore lu très
récemment que le glyphosate ne pourrait pas être interdit dans l'UE
en raison de traités signés avec d'autres pays. Un démenti sur ce
point serait le bienvenu, ne serait-ce qu'en raison des preuves qui
s'accumulent sur la non-innocuité de cette substance.
Les
spécialistes de la biodiversité considèrent que seul un changement
profond et massif des pratiques agricoles pourra enrayer le processus
et, espérons-le, l'inverser. Pour cela, l'action individuelle (des
consommateurs, par exemple), les mesures hyper-locales ou les
discours (comme celui, excellent, du ministre Nicolas Hulot devant
l'Assemblée) ne suffisent plus. Il est urgent et nécessaire
d'engager la mutation du modèle agricole dans son ensemble. Il n'est
plus seulement question d'encourager l'agriculture biologique à la
marge, mais bien de mettre le monde politique et agricole sur la voie
d'un changement radical.
Je ne
tiens pas ici à faire le procès des agriculteurs. Ils sont souvent
les premières victimes des pratiques qu'on leur a apprises,
financièrement et physiquement. Au contraire, il s'agirait d'opérer
cette mutation avec eux, en les aidant, en les soutenant, en
finançant la conversion des exploitations, en les formant à
l'agro-écologie ou à la permaculture. Ces dernières ne sont pas
une fantaisie de néo-ruraux, mais un ensemble de pratiques décrites
et efficaces, déjà répandues mais de façon malheureusement très
dispersée, beaucoup trop pour avoir une influence tangible. Par
ailleurs, leur réputation de ne pas pouvoir nourrir la Planète si
elles étaient généralisées est infondée. Au contraire, notre
planète se nourrit mal en de nombreux endroits en raison de la
spéculation et de pratiques destructrices et prédatrices.
Seule
une agriculture respectueuse du vivant serait à même de ralentir
l'écocide sus-évoquée. En outre, elle permettrait de contribuer à
limiter certains aspects du changement climatique global, dont une
partie est imputable aux pratiques agricoles actuelles.
Je
vous engage à prendre la mesure de l'extrême urgence à agir et
vous encourage à entrevoir la portée historique d'un
infléchissement majeur de la politique agricole et
environnementale : Nous pourrions être la génération qui a
tenté d'arrêter le processus d'extinction biologique que les
prévisions dorénavant moyennement pessimistes nous annoncent.
Je
vous supplie de considérer l'importance de ce sujet, de son
caractère non-accessoire et du cadeau fait à nos enfants, souvent
plus écologistes que nous, que constituerait ce premier pas vers un
avenir meilleur.
N'attendons
pas que la fatalité nous apporte les preuves que la science ne peut
fournir avec un taux de certitude de 100 %. Si les facteurs
bloquants sont d'ordre économique ou financier, inventons une
nouvelle économie qui placerait au sommet des priorités la
croissance réparatrice, c'est-à-dire une croissance fondée
uniquement sur la régénération du vivant, sur la dépollution, le
repeuplement des espèces ! Il va de soi qu'une planète
abritant la vie supportera très bien de n'être pas peuplée
d'humains, et ce n'est pas cette issue que je souhaite pour ma part.
Je
pourrais également vous parler de la question de l'eau, de sa
distribution, de son utilisation agricole massive et de la pollution
majeure qui affecte les cours d'eau comme les nappes phréatiques. De
même, mon propos pourrait également porter plus précisément sur
le changement climatique global, sur la surproduction industrielle et
ses conséquences sur l'environnement, et sur tant d'autres sujets
que la liste serait trop longue à établir ici.
En
réalité, toutes les questions sont liées. Prendre comme point de
départ un changement de politique profond en matière de production
agricole est certainement l'un des moyens les plus naturels et les
plus simples de se diriger vers un avenir meilleur pour toutes et
tous.
Vous
avez peut-être entendu parler du « jour du dépassement », à
savoir le jour de l'année à partir duquel un pays ou la Terre toute
entière se retrouve en déficit écologique par rapport aux
ressources que la planète peut offrir. En France, ce jour a été
atteint le 5 mai dernier... C'est beaucoup trop tôt.
Dans
l'espoir de votre réponse en actes forts et immédiats, je vous prie
de recevoir l'expression de mes respectueuses salutations,
Sébastien
Haton
Linguiste,
auteur et enseignant, ex-ingénieur de recherche au CNRS
Il n'y a pas que le jour qui est "dépassé" , c'est le cas de tous les dirigeants...Tout d'abord ceux qui refusent de considérer l'urgence écologique, hélas aussi, ceux qui en parlent, s'en soucient mais ne font rien pour remédier au désastre. Merci de les réveiller.
RépondreSupprimer