vendredi 24 septembre 2010

Mais qui sont ces gens qui écrivent ?

Je vous l'ai promis hier, nous parlerons aujourd'hui de ce qui "fait et constitue le métier d'écrivain", selon les écrivains eux-mêmes.
Dans les nombreuses entrevues que ces derniers ont accordé à l'occasion de la rentrée littéraire, certaines questions reviennent souvent. Par le non-mauvais esprit qui me caractérise, je n'en ai retenu que quelques-unes, pas forcément les plus tordues, mais celles qui ont amené des réponses qui m'ont ému.
Pour bien éclairer ce qui m'intéresse, il est à noter que les journalistes questionnent parfois sur un mode générique :
"Est-ce que les écrivains font ceci ? Est-ce que les écrivains sont cela ?"
Au début, l'auteur questionné réagit en individu :
"Les autres, je ne sais pas, mais moi..."
Puis la lassitude aidant, il oublie sa condition d'être singulier et se met à répondre au nom de la confrérie :
"Oui, les écrivains sont ceci, doivent faire cela !"

C'est là que la chose devient intéressante et ce sont ces réponses que je vais transcrire ici, parce que tout le monde sait que tout le monde pense que tout le monde doit faire comme tout le monde. Enfin, c'est mon avis, hein, tout le monde ne le partage pas :))

Voici, pour vous, les vices et travers les plus saillants inhérents à la profession d'écrivain. La nature humaine étant ce qu'elle est, les affirmations individuelles se contredisent parfois totalement. Notez bien : Tout ce qui suit est la déformation de discours réellement tenus. Mes commentaires sont en sus.

Les écrivains sont des voleurs
Ils passent leur temps à dérober les paroles d'autrui. Osez une phrase intelligente et originale devant un écrivain, vous la retrouverez dans son prochain livre. On ne parle pas aux écrivains parce qu'ils utilisent tout ce qu'ils entendent pour en faire de la fiction. Que vous le vouliez ou non, fréquenter un écrivain fera de vous un personnage de roman, généralement pas à votre avantage.
Cette tare peut se cumuler avec celle du linguiste-grammairien, lequel vous reprendra à la moindre faute de syntaxe... selon une légende urbaine que je n'ai toujours pas comprise (en tant que linguiste).
Alors oui, méfiez-vous des écrivains. Ne leur confiez rien, ne leur dites rien, ignorez-les, ne les regardez même pas.
Comme dirait l'écrivain en début d'entrevue : "les autres je ne sais pas, mais moi je suis très gentil avec autrui."

Les écrivains sont généreux
S'ils sont notoirement voleurs (voir point précédent), ils restituent tout. Le problème est que les lecteurs sont crédules, ce qui peut donner lieu à de terribles malentendus.
"Quoi, tu as vu ce que tu as fait page 27 ?
- Mais enfin, chéri, ce n'est pas moi, c'est cet écrivain de malheur qui s'est servi de moi pour ses élucubrations !
- Tu ne t'en tireras pas comme ça !"
Rien à dire, c'est pure vérité.

Les écrivains sont invivables
Quand un écrivain écrit, il ne faut pas lui parler, il ne faut pas passer dans son champ de vision, pas chanter, pas écouter de la musique, pas marcher, pas respirer... L'écriture réclame un isolement et un calme absolus.
Quand un écrivain écrit, il vaut mieux être loin. C'est ce qui explique pourquoi la plupart sont célibataires. Enfin, il paraît, c'est ce qu'on m'a dit... parce que moi ça ne me dérange pas : le bruit, la présence de l'être aimé, la musique, tout ça. J'aime bien.

Les écrivains doivent s'imposer des règles
Un écrivain n'écrit bien que s'il est rigoureux avec lui-même. Limite masochiste. Par exemple, si vous n'êtes pas du matin, forcez-vous à vous lever à 3h00 et écrivez tous les jours de 4h22 à 8h12. Dans tous les cas de figure, forcez-vous à écrire le même nombre d'heures chaque jour, même si vous n'en avez pas envie. L'inspiration naît avant tout de la discipline.
Si j'excepte le côté caricatural, je confirme que ça marche sur moi : écrire tous les jours me permet d'écrire tous les jours. Ahahah, simple, non ?

Les écrivains doivent s'engager
Un écrivain qui n'entend pas faire passer de message politique n'est rien. C'est pour cela que la moitié des livres parus cette année traite d'au moins un homme politique Français ou d'une guerre du 20ème siècle. Si vous n'entendez que distraire les foules, vous n'êtes pas un écrivain, vous êtes un... un sale... un moins que... un écrivaillon ! Parfaitement !
Quant à moi, je ferai la différence entre engagement et désir de faire partager mes idées. J'espère que mon amour des gens, de la vie et de la nature se sentira dans mes écrits. J'espère aussi qu'on sentira mon apolitisme et ma cruelle absence de convictions partisanes. C'est mon engagement.

Les écrivains se révèlent dès le berceau
Un écrivain sait qu'il deviendra écrivain dès l'école primaire. Si vous n'écrivez pas votre premier début de roman avant le collège, vous ne serez jamais écrivain (entendu à la radio). Alors ne vous obstinez pas, laissez tomber, vous avez commencé trop tard.
Mon premier poème date du CE1, il parlait de roses roses, de bleuets bleus et de jonquilles jaunes. Il ne rimait pas, il ne dépassait pas deux strophes. N'empêche, je n'avais que 6 ans. J'ai donc le droit de devenir écrivain, na !

Les écrivains sont des feignants
Un roman de 200 pages tous les 3 ans, vous vous moquez de qui ? 0,2 page par jour, vous appelez ça "un travail" ?
Là tous les cas de figure sont possibles. Si je me fie à mon expérience, un auteur produit bien plus qu'il ne publie. C'est valable également pour les chercheurs universitaires, d'ailleurs. Mais l'existence de vrais paresseux dans la profession n'est pas à exclure, surtout si le premier jet est le bon (ce qui est rarement le cas).

Les écrivains sont des travailleurs fous
C'est le pendant du point précédent, les écrivains sont obsédés par l'écriture au point d'y consacrer tout leur temps, allant jusqu'à négliger famille, amis, parents... ce qui n'est pas grave puisque tout le monde les fuit du fait qu'ils sont voleurs et invivables !
Pour ma part, je place l'écriture avant toute autre activité. J'ai renoncé à courir après une carrière pour elle, j'ai refusé un bon poste pour elle. Et je lui consacre au moins 40 heures par semaine. Je ne suis ni fou ni travailleur fou, je suis un passionné. Advienne que pourra.

Les écrivains passent leur temps à chercher de la matière pour leurs œuvres
Rejoint le point 1, mais n'engage pas forcément les relations humaines. Une feuille qui tourbillonne, un oiseau qui chante, c'est de l'écriture en puissance. Un élément architectural, n'importe quoi en fait : tout est prétexte à élaborer de la prose.
Faux, à mon avis. Passé un certain temps, l'écrivain ne cherche plus de matière, c'est la matière qui vient à lui. On appelle ça de la déformation professionnelle.

Les écrivains doivent interroger la Planète
La formule est très à la mode en arts plastiques, c'est pourquoi j'ai été surpris lorsqu'un écrivain l'a utilisée en mode générique. Je l'ai entendue dans des tas de vernissages, surtout pour justifier l'existence de... machins... Je ne sais pas comment appeler des amas hétéroclites de détritus érigés en sculpture. "Donc mon vieux pneu cloué sur une planche de bois interroge la planète, notamment notre propension à la détruire sans penser à demain..."
Mais qu'en est-il d'une œuvre littéraire ?
La Planète n'a pas besoin qu'on l'interroge, à mon avis, et d'ailleurs elle ne nous répondra pas.

Les écrivains ne doivent se mêler de rien d'autre que d'écrire
S'oppose au point 5, montrant s'il en était besoin que les écrivains ne pensent pas tous la même chose. Un écrivain n'est rien, il n'est qu'un amuseur au service du lectorat.
Mais au fait, y a t-il incompatibilité entre s'engager et ne se mêler de rien d'autre que d'écrire ?
A mon avis non, mais ce n'est que mon avis ;))

Les écrivains sont trop nombreux
L'aspect le plus douloureux de l'espèce humaine ordinaire. S'il n'y avait qu'un seul écrivain sur la Terre, il serait plus puissant et riche que tout autre individu.
Ai également entendu ça au sujet des docteurs en sciences du langage. Faut-il, au nom du nombre, éliminer les plus faibles, les moins doués, les moins violents ? Si j'accepte cette idée, ferai-je partie des survivants ou des sacrifiés ? Suis-je un génocidaire ou un suicidaire ?
L'écrivain qui a dit cela pense qu'il est le meilleur. C'est son droit.

Et la question bonus : "Que conseilleriez-vous à un jeune auteur qui essaie de se lancer ?"
Ah ! La merveilleuse question qui termine la moitié des entrevues !
Tout y passe, des réponses les plus intelligentes aux plus incroyablement saugrenues. Parfois, c'est un florilège de slogans publicitaires : "Fais ce que bon te semble", "sois toi-même", "ne renonce pas", etc.
D'autres fois, on sent bien l'intelligence qui s'échappe par tous les pores : "n'écoute pas les conseils" étant la réponse la plus courante.
Mais au fond, pourquoi cette question ?
Je vous conseille d'arrêter de la poser.

En guise de conclusion, j'espère que le moment venu j'aurai la force d'éviter le piège de la généralisation. Mais c'est facile à dire depuis mon fauteuil de bureau et alors qu'on ne m'a jamais interviewé en dehors du cadre scientifique.

J'allais oublier :
Les écrivains ont un avis sur tout
Et comme le disait un (autre) écrivain : "C'est vrai, mais ils ont surtout plein d'avis sur rien !"
Signé Jean d'O, un de mes préférés sur le plan de la pensée.

Demain, peut-être, un condensé de tout ça en images :))
Soyez heureux.

5 commentaires:

  1. Alors conseil pour moi qui ne veut pas devenir écrivaine... Courir ;-) ! Pas vrai Karo !
    Merci pour ce condensé d'interview + réponse. J'adore tes commentaires !

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  2. Ahahahahahha ! Trop drôle tout ça. Le milieu des écrivains, franchement, c'est assez particulier. C'est pourquoi même si je ne suis pas "officiellement" écrivaine (aucune publication de roman), je me considère déjà comme une écrivaine atypique. Mais il est clair qu'un jour, quand je publierai (notez la confiance ici), je dirai probablement aussi des âneries !

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  3. On dirait qu'il y a qqch qui coince quelque part...
    Et si je me commente moi-même, ça passe ?

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  4. Pardon, Caro, je n'arrivais pas à lire vos commentaires avant de poster le mien... Maintenant, c'est bon ! Je suis content que tu aies apprécié cet exercice de synthèse. La course est déconseillée à l'écrivain, de même que toute forme de sport. En réalité, j'ai assez de matière pour une suite ;))
    Martine, nous dirons forcément des âneries (sans parler des entrevues en direct !), puisque nous serons les seuls à croire à nos propres délires... Mais tu m'éclaires sur un point que je n'ai pas soulevé : Un écrivain savait qu'il deviendrait écrivain, quoi qu'il arrive. Encore un point à soulever dans la partie 2.

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