samedi 28 mai 2011

Quand l'auto-fiction dépasse la réalité -3-

La suite du retour de Pierre Fleury sur les terres de sa jeunesse moins folle qu'après son départ.
Dans l'épisode 1, il revenait chez lui après un an et quelques de parc aux loups.
Dans l'épisode 2, il remettait les pieds au laboratoire où il pense qu'on l'a oublié après l'avoir pleuré.
Voici l'épisode 3...


Quand l'auto-fiction dépasse la réalité
PARTiE 3

(...)


Certains n'ont pas besoin de nouvelles pour ne jamais oublier. Parmi ceux-là, il y en a que votre absence fera souffrir au-delà du raisonnable. Ces êtres rares sont les seuls qui pleurent l'acheteur d'allumettes même quand il revient. C'est le cas de Monique. Avec elle, je n'ai d'autre issue que de payer mes absences en subissant son affection excessive.
L'amie perpétuellement transie me pousse devant elle jusqu'à la cafétéria. J'ai volontairement choisi l'heure de ma venue pour qu'elle corresponde au temps de pause de mes anciens camarades.

"Regardez qui est là !" annonce-t-elle à l'assemblée rigolante qui se tait à mon entrée.

Le groupe regarde mais ne voit pas "qui est là". Moi je les reconnais tous, à l'exception d'une jeune nouvelle. D'un seul coup d'œil, je comprends qu'elle est Russe. Elle s'appelle sûrement Tatiana. Je la remarque bien parce que c'est la seule qui me sourit, qui m'accueille gentiment parce que Monique le lui demande. Les autres m'interrogent en silence. Qui êtes-vous, monsieur ? On vous connaît ?
Au fond de la salle, il y a un miroir en pied. Lorsque je travaillais là, je ne comprenais pas à quoi servait cette glace à cet endroit et pourquoi il n'y avait pas à la place une machine à distribuer du café en poudre, voire une affiche des Beatles. En apercevant mon reflet, je saisis l'importance de l'objet ainsi posé.
Lorsque j'étais moi-même employé dans ces murs, je constatais sans vraiment le relever que quelques coquettes s'arrêtaient à l'entrée de la pièce, se regardaient furtivement et parfois s'en retournaient pour effectuer un raccord de maquillage ou de corsage. C'est tout du moins ce que je suppose.
C'est ainsi que je me projette dans la peau de ce petit ingénieur malingre et glabre qui écumait les lieux il y a peu. Celui qui réapparaît au monde n'a plus grand-chose à voir avec lui, ainsi que je le vois. Son teint est mat, ses joues plus creusées, son corps est plus musclé, ses yeux plus clairs. Ses cheveux autrefois châtains et courts sont longs et cuivrés. Sa barbe a plusieurs mois et présente la même teinte aux reflets roux que sa tignasse ondulante qui descend vers ses épaules. Il n'y a guère qu'une mère ou une Monique, qui est si proche d'une maman, pour ne pas s'y tromper. Ce fils prodigue est bien le même ! Mais les autres ne peuvent pas le reconnaître, c'est dans l'ordre des choses.
Comme personne ne réagit, j'ai envie de lancer comme le faisait autrefois l'un de mes camarades, et pas le plus aimé :
« Bonjour, je m'appelle Fantomas et je vous emmerde »
mais je contiens ma part sombre et je me dirige prestement vers la seule personne qui me sourit franchement, parce qu'elle aussi aime Monique et probablement aussi parce que c'est la seule qui ne me connaît pas. Je m'arrête devant elle en lui rendant son sourire et je lui tends la main.

"Bonjour, je m'appelle Pierre Fleury. J'ai travaillé ici pendant plusieurs années, vous n'y étiez pas encore.
- Je suis Tatiana Ekatrinova, je suis docteure de Saint-Pétersbourg. J'ai reconnu votre nom", répond-elle en emprisonnant ma main avec une souplesse très slave.

L'assemblée se tend aussitôt en une surprise collective.

"Pas possible, c'est notre Pierre !
- Mais qu'est-ce que tu as changé, c'est incroyable !"

Même l'araignée Mylène câline le revenant. Elle me prend par le dessous des oreilles et me bise avec une chaleur démesurée par rapport à nos relations d'autrefois. Pour elle, je suis un autre homme. Elle-même est une autre femme, oserais-je dire, elle est plus jolie et elle a changé de parfum. Elle en a tellement changé, ma foi, qu'elle s'est même rendue compte que j'avais noté la nouvelle fragrance. Un rien de reniflement curieux m'avait trahi. Elle me regarde en minaudant, poussant le jeu jusqu'à rosir des fossettes.

[à suivre...]

L'acheteur d'allumettes II, chapitre 2, retour à la source, Sébastien Haton

4 commentaires:

  1. LE COUP DU MIROIR:dans les moments où on se sent parfaitement inexistant, te donne la preuve de ton occupation de l'espace.C'est peu comme valorisation mais quelquefois rassurant...

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  2. Alors on touche le miroir pour s'assurer qu'on est bien là... et on passe au travers !

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  3. la suite,please...j'aime pas les séries! :-))

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  4. Ah ! La suite arrive !
    Désolé pour la non-amatrice de séries que tu es... J'essaie de mettre des textes pas trop longs et espacés.
    s.

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