lundi 30 mai 2011

Quand l'auto-fiction dépasse la réalité -4-

Quatrième épisode du feuilleton extrait d'un chapitre de roman écrit il y a longtemps et qui ressemble étrangement à mon présent, toutes proportions gardées et toutes choses inégales par ailleurs dans un monde parfait.
Dans l'épisode 1, Pierre rentre chez lui.
Dans l'épisode 2, il retourne sur son ancien lieu de travail.
Dans l'épisode 3, il est accueilli avec effusion par des collègues avec lesquels il ne s'est pas toujours bien entendu.
Voici le quatrième volet de ce retour...


Quand l'auto-fiction dépasse la réalité
PARTiE 4

(...)


"Je ne mets plus Lancôme. Tu avais raison, ça n'allait pas avec mon grain de peau..."

Bigre... Encore quelques secondes de retrouvailles trop intimes et elle m'annoncerait qu'elle avait rompu avec son costaud jaloux d'autrefois... Heureusement, les autres compères réclament leur part. Tout le monde m'attrape par les épaules et m'embrasse, y compris ce technicien homophobe qui m'aurait pété le nez si j'avais essayé de lui effleurer la joue à l'époque. Je ne me savais pas autant aimé. Quand je me retourne vers Monique, je ne suis pas surpris de la découvrir l'œil humide. Il est évident que son émotion dépasse la mienne, alors je l'embrasse à nouveau. Elle le mérite bien.

"Je peux avoir un café ? osé-je avec la gourmandise du souvenir des arabicas de Monique.
- Bien sûr, tout de suite !"

Mylène a réagi tellement vite que sa voisine s'est affaissée de quelques millimètres dans le canapé d'entreprise biplace à moitié libéré.

"Toujours sans sucre ? glucose mon ancienne ennemie de travail.
- Plus que jamais", répond ma barbe d'aventurier sans peur mais revenu de rien.

Je l'avoue, j'appréciais cette sensation d'être la vedette d'un lieu où j'avais mis tant d'énergie à demeurer presque transparent. On me pressait de questions décousues, on me livrait des nouvelles sans ordre et sans objet. Pendant ce temps, l'oreille un peu distraite, je savourais. Au milieu du désordre, une question fusa et apaisa l'alentour.

"Qu'est-ce que tu as donc fait depuis tout ce temps ? Tu ne voudrais pas nous raconter ? On a su des choses, mais tu sais ce que c'est... on ne sait jamais où est le vrai, où est le faux...
- Vous voulez savoir quoi ?
- Tout ! Depuis que tu nous as abandonnés, tout du moins.
- Vous avez le temps ?
- Ça n'a pas changé, ici, me rigola-t-on. Les pauses, ça s'allonge en fonction des circonstances..."

Je vois dans les yeux de Mylène-la-curieuse l'exact inverse de ce qu'elle y mettait quand on m'avait embauché. Du feu, à présent. Un intérêt sans entrave, sans la nécessaire retenue des collègues trop proches qui se concurrencent à force de trop travailler ensemble.
Je ne voulais pas la décevoir et je voulais édifier tout le monde. Alors je leur ai tout raconté, depuis mon entrevue chez l'éditeur joueur Prieur jusqu'à mon départ du parc de Thérens. Je n'ajoutai aucun détail superflu à mon récit, ce n'était pas nécessaire. Je ne leur cachai rien non plus, pas même l'accident du braconnier sur son rocher tombal. Durant ma narration, mon passé proche prenait de la substance au point que je pris enfin conscience de ce que j'avais vécu.
La vache, j'ai fait ça, moi ?!
La séance était presque thérapeutique. Toutefois, moi qui espérais impressionner la jolie Russe récemment importée, c'est Mylène que j'emballais avec mes histoires. Les types qui disparaissent dans la forêt et qui chantent avec les loups, on s'en tape du côté de Saint-Pétersbourg, me disais-je.
Après avoir réclamé un deuxième café, je laissai peu à peu mes camarades reprendre le champ de la discussion. Je restais provisoirement le centre du monde mais l'on ne me questionnait plus, j'avais déjà tout dit. Monique en profita pour s'adresser en privé à mon oreille droite :

"Au fait, tu es juste venu pour nous dire bonjour ou bien ?
- Pas uniquement, en effet... Je suis venu demander ma réintégration...
- Ah d'accord..."

Le silence de Monique réfléchit. Le silence de Monique a quelque chose d'important à ajouter.

"Alors dans ce cas, je te conseille de ne pas le leur dire. Tu serais déçu de constater leur réaction. Moi, je serais très heureuse que tu reviennes mais eux... ils t'adorent provisoirement parce que tu n'es plus des leurs. Tu es un mythe, pardon si ça te blesse...
- Je comprends, je ne me sens pas blessé. Mais je vais quand même la demander, cette réintégration..."


[à suivre...]

L'acheteur d'allumettes II, chapitre 2, retour à la source, Sébastien Haton

3 commentaires:

  1. j'adore cette histoire...et tous ces gens qui sont une part de nous mm qd on voudrait et qu'on fait pas ce qu'on veut et qu'on s'trouve toutes les bonnes excuses pour ne pas l'avoir fait...qu'on se réfugie dans un domaine qu'on maitrise où qu'on méprise, par talent ou habitude..
    L'irruption d'un tel electron libre a de quoi perturber cette belle installation faite de tricherie, de compromis, de mespuineries, d'arrangements,d'ambitions larvées ou déclarées, d'alliances momentanées ...etc
    hâte de lire la suite :-)

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  2. Oh là là! le méchant grain de sable qui risque de gripper la petite machine sociale...

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  3. Merci de dire cela, flo, ça me fait plaisir :))
    L'électron libre dont tu parles est le prisonnier de lui-même. On verra bien ce qu'il perturbera... ;)
    NB : dans la "vraie" vie, je reviens dans un labo où les gens m'aiment bien, ne m'ont pas oublié et où je fus tout sauf transparent ;)) Le seul vrai point commun, c'est que ma masse musculaire a énormément augmenté en 2 ans !

    Ha ha ha, manouche ! Mais le petit Pierre se grippera avant la machine... ;)

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