vendredi 3 juin 2011

Quand l'auto-fiction dépasse la réalité -6-

Sixième épisode du feuilleton extrait d'un chapitre de l'acheteur d'allumettes 2, écrit il y a longtemps et qui ressemble étrangement à mon présent, toutes proportions gardées et toutes choses inégales par ailleurs dans un monde parfait, le héros étant aussi éloigné de moi que le chemin qu'il prend pour réintégrer sa vie d'avant.

Dans l'épisode 1, Pierre rentre chez lui.
Dans l'épisode 2, il retourne sur son ancien lieu de travail.
Dans l'épisode 3, il est accueilli avec effusion par des collègues avec lesquels il ne s'est pas toujours bien entendu.
Dans l'épisode 4, il raconte ses aventures et annonce son désir de retravailler là à une des personnes présentes.
Dans l'épisode 5, il se retrouve dans le bureau du directeur pour essayer de se faire réembaucher.
Voici le cinquième volet de ce retour...

Quand l'auto-fiction dépasse la réalité
PARTiE 6

(...)


Je le laisse respirer. Le téléphone sonne, il répond. Ça a l'air important alors je fais mine de me lever, comme autrefois, mais le boss me fait signe de ne pas bouger. A l'autre bout du fil, on me connaît.

“Et tu sais qui est en face de moi ? Devine ! lance M. Pierson au beau milieu d'un échange très professionnel bien que chaleureux.
- ...
- Lui-même ! Dis donc, tu as un sacré flair. Et tu sais pourquoi il est là ? ajoute aussitôt le boss sous mon air un peu déconfituré.
- ...
- Tout juste.
- ...
- Oui, je le lui ai dit... enfin, je commençais à le lui expliquer quand tu as appelé.”

Au cours de l'échange, je comprends à demi-locuteur que mon retour était attendu et qu'il pose un certain nombre de problèmes indépendants de la volonté des autochtones. Dans ma grande naïveté, je n'imaginais pas rencontrer le moindre obstacle à une reprise de mes activités en bonne et due forme, dans la plus grande simplicité : « signez ici, serrons-nous la main et retournons au boulot... »

“Tu vois, reprend Jean-Pierre après avoir raccroché, nous parlons régulièrement de toi. Contrairement à ce que tu croyais, tes tâches étaient importantes pour la structure. C'est d'ailleurs pour cela que nous avons été obligés de recruter Tatiana... Tu l'as rencontrée, non ? Elle était en bas, tout à l'heure... Bon bref, elle avait toutes les qualifications, son doctorat en bases textuelles, un français quasi parfait et une bonne connaissance des bases de données lexicales... Voilà.
- Dois-je en déduire que mes chances de revenir sont nulles ?” osai-je en plein marasme à odeur de soufre.

La tête du chef fait non lentement, mais ses yeux me disent oui. En voulant analyser trop vite les réactions de Jean-Pierre, mon cerveau se résigne et laisse divaguer ses globes oculaires sur les rayonnages qui entourent le directeur. Au milieu des ouvrages et des revues d'informatique et de linguistique, je débusque deux tranches dont la couleur m'est familière. Je m'y attarde avec une pointe d'émotion qui me fait presque monter une larme au bord de la paupière ; je prends comme un honneur d'être serré entre Turing et Chomsky. C'est plus qu'un honneur, en réalité, c'est une invraisemblance. "Le complexe du rédempteur" et "le roman de 24 heures" dialoguaient péniblement avec les plus hautes autorités de ma communauté d'origine. Ils avaient sans doute peu de choses à se dire...
Voyons voir...

Silences gênés.

Alors comme ça vous êtes un roman écrit par ce jeune homme qui nous lisait autrefois ?
-Oui, c'est bien ça... mais il vous lit toujours !
Et à part ça, qu'est-ce que vous faites dans la vie ?
- Il arrive qu'on me lise...
Mais pour quoi faire ?
- Je... Demandez à Monsieur Pierson !

Le monsieur en question savoure ma découverte :

“Tu as vu ? J'ai pensé que le placement te plairait.
- C'est... audacieux.
- Je te surprendrai peut-être en disant que j'aime bien ce que tu écris. Pour moi, les garder ici était une manière de te faire exister dans le labo. Et puis le portrait que tu fais du chef de ton héros est plutôt sympa... J'ai eu l'orgueil de croire que je l'avais inspiré en partie. “Ce brave M. Pierrat”...”



[à suivre...]


L'acheteur d'allumettes II, chapitre 2, retour à la source, Sébastien Haton

2 commentaires:

  1. où est Tatiana que je la flingue?

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  2. C'est difficile d'en vouloir à Tatiana...
    Lui a fui sa vie "facile" en pensant ne jamais revenir et voilà qu'il revient... Tout est de sa faute à LUI ! ;)

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