Je n'ai pas encore parlé de l'automne alors qu'il semble que ce fût déjà le cas sur de nombreux blogues de par le monde.
Aussi vais-je réparer cet oubli en parlant d'autre chose... à savoir en présentant ici un extrait de l'acheteur d'allumettes I, lequel parle de la forêt au soleil, sous la pluie et entre deux.
Le passage étant assez long, je le posterai en deux fois.
EXTRAIT
C'est la pluie qui me réveilla le premier matin. J'avais dormi d'une traite mais mon sommeil s'était peuplé de créatures étranges et de lieux effrayants, à tel point que je remerciai chaleureusement l'eau battant les feuilles de me faire émerger enfin.
Formidable, je n'avais pas encore pratiqué la forêt sous l'eau. C'était l'occasion rêvée de m'y frotter. En ouvrant la fenêtre, je fus immédiatement saisi par les puissants effluves de la nature mouillée. L'herbe, la mousse, l'humus, les fougères et le reste chargeaient l'air d'odeurs primaires qui me rendaient plus fou que n'importe quel parfum de femme fatale.
Raymonde était déjà à pied d'œuvre, comme chaque matin. Je pourrais me lever une heure plus tôt, mon petit déjeuner serait aussi prêt qu'il peut l'être pour que je n'eusse plus qu'à l'engloutir. Elle m'accueillit avec le plus étonnant bonjour qu'on m'eût fait par ici :
"C'est la pluie qui sort le loup gris hors du lit !"
Comment pouvait-elle connaître mon mystérieux surnom citadin ?
Après m'avoir fait une bise et m'avoir amené le café gardé au chaud, elle s'inquiéta de mon programme qui, selon elle, ne devait pas dépasser les limites de la maison-abri :
"Tu vas faire quoi avec ce temps ?
- Je vais me promener !
- Te promener, grandiou !? Mais il fait un temps à truitard, aujourd'hui !
- J'aime la forêt sous la pluie. C'est... comme si je découvrais la porte d'un autre monde dont les habitants sont différents, tu vois...
- Oh bé moi je vais rester au chaud. L'autre monde, je l'ai vu bien assez. Quand il pleut, je ne bouge plus... En tout cas, je veux que tu manges bien, on ne doit pas sortir dans ces conditions avec un ventre pas assez rempli. Et puis tu me feras le plaisir de te couvrir !"
Je ne me fis pas prier pour engloutir l'assiette de pain de campagne non sans l'avoir fait réchauffer sur le poêle Godin pour que le beurre y fondît délicatement et remplît les minuscules cratères laissés par les bulles d'air de la levée et de la cuisson. Une tranche sur deux recevait la visite d’une cuillère de gelée de mûres, une merveille. Elle était si bonne que Raymonde aurait mérité d'être l'inventeur de cette extraordinaire recette. Je bus aussi deux pleins bols de café, cet ignoble robusta dont l’amertume m’était devenue nécessaire... Puis je me mis en route sous les recommandations renouvelées que Raymonde avait dû assener à ses enfants pendant des années.
Pourquoi la forêt est-elle si différente un jour de pluie ? Même quand on la connaît intimement depuis des décennies, on s'étonne encore d'aborder deux mondes opposés. Mais on ne se pose pas de question, on s'adapte.
Moi j'avais besoin de comprendre ce décalage, cette façon que la nature a de vous plonger dans un autre monde alors que vous n'avez pas changé de dimension.
Quand l'air est chargé d'eau, ce sont d'abord les odeurs qui frappent par leur puissance ; là où le soleil fait exhaler les huiles, l'eau active les matières organiques.
Puis ce sont les couleurs qui se modifient. L'orange et le jaune disparaissent complètement. Le rouge et le brun deviennent presque gris et bleu à travers le filtre du mur de pluie, mais les troncs des épicéas sont seuls à rougir. Et le vert domine partout, un vert écrasant et triste en hauteur, qui porte le chapeau gris des nuages bas, un vert luisant et délavé plus près du sol là où vos pas n'ont pas encore mêlé la boue aux herbes basses. L’herbe des clairières, chargée de fines gouttelettes, semble presque bleue. (...)
(A suivre demain...)
L'acheteur d'allumettes, chapitre 28, Sébastien Haton
Ce n'est pas l'écriture qui est miraculeuse, c'est l'alchimie des cerveaux. L'imagination permet la naissance du texte, la lecture, sans transcription, une traduction immédiate en images. Toute expression née de l'homme, me surprend. Je ne dis pas que je les aime toutes, loin de là, mais nos limites à connaître, comprendre, aimer, sont sans cesse dépassées, transcendées par l'expression. Lire, c'est pour moi, se mettre dans la respiration d'un autre, inconnu, et vivre des émotions nouvelles. C'est une transmission du vivant au travers de signes et de codes dépassant bien leur apparence pour nous atteindre au plus profond de l'esprit. Tout un art, en somme.
RépondreSupprimerRoger
OH CETTE PLUIE EST UNE MAGNIFIQUE EFFERVESCENCE PLUS FORTE QUE LE PARFUM D'Une FEMME FATALE
RépondreSupprimervotre écriture est une joie pour la conteuse que je suis car je pénètre dans vos pas et je reçois je ne dirai jamais aussi bien que notre land art nationale à demain et merci de vos petites visites chez la dingue des mots comme je suis une bonne cuisinière je les fais comme mes tomates farcies pleines de fautes d'orthographe au revoir
avec la première image des odeurs de la femme fatale vous m'avez reconnectée en mémoire avec un homme ami bureau de style qui pour les odeurs de la femme avait élevé un tertre de vie
Merci infiniment, Roger et Frankie Pain, de laisser ici vos marques de langage si profondes et originales :)))
RépondreSupprimerEt c'est un plaisir d'imaginer vos tomates farcies faites avec la même fantaisie que vos textes :)
J'AI FAIM
RépondreSupprimerUN JOUR JE VOUS INVITERAI ou SI JE PASSE PAR CHEZ VOUS JE ME METTRAI AU FOURNEAU VOUS NE SEREZ PAS déçu DU PALAIS, et nous improviseront une soirée contée
à tout bientôt
Frankie, je vous crois sur parole :))
RépondreSupprimerJe voudrais tant lire ce livre.
RépondreSupprimerQuestion stupide, où le trouver?
Julie, je suis ravi de lire un tel commentaire.
RépondreSupprimerMais ta question est fort pertinente, hélas... car le manuscrit est entre les mains de plusieurs éditeurs dont j'attends les réponses. Pour l'heure, sa publication n'est pas programmée.
Confidence pour confidence : moi aussi j'ai hâte de le lire... dans sa version livre !
Merci à toi,
s.